Ernest Cole: Lost and Found

F Watchlist

Du haut de ses 71 ans et de sa filmographie en prise avec les chevaux de bataille de la gauche des deux siècles passés, de la théorisation de la lutte des classes aux combats politiques afro-américains en passant par les mouvements de décolonisation, le cinéaste haïtien Raoul Peck ne connaît que trop bien le sens politique du mot «engagement». Déclinée de films en films, entre documentaires et fictions, et saisie à travers les trajectoires d’individus exceptionnels inscrites dans la trame de la grande histoire, la fureur d'agir prend forme dans des récits de lutte émancipatrice racontés au passé pour mieux secouer le présent. Après avoir retracé le parcours de l’écrivain noir américain James Baldwin (I Am Not Your Negro) et les années d’apprentissage d’un certain Marx (Le jeune Karl Marx), le réalisateur se penche sur le photographe sud-africain Ernest Cole, engagé dans une entreprise de documentation des sévices quotidiens de l’apartheid qui culmine avec la publication en 1967 de l’ouvrage House of Bondage. Composé presque exclusivement de clichés réalisés par Cole, le film retrace la vie du photographe, né en 1940, de sa jeunesse en Afrique du Sud à son exil aux États-Unis, où il meurt dans l’indigence en 1990, et revient sur la découverte en 2017 de dizaine de milliers de ses négatifs dans le coffre d’une banque suédoise. Si on salue le parti pris judicieux de raconter la trajectoire biographique par l’œuvre, l’une éclairant l’autre et inversement, on aurait apprécié quelques apports contextuels supplémentaires sur le travail de Cole: par moments, le film donne l'impression de s’adresser à un public averti, au risque de perdre les néophytes. Lesquel·les pourront toujours s’accrocher à la beauté du texte récité par l’acteur et rappeur américain LaKeith Stanfield, sorte de récit autobiographique post-mortem, et à la puissance des photographies de Cole, furieusement engagées.